L'épopée d'Anzoû
L'ÉPOPÉE D'ANZOÛ
Le mythe
Anzoû, l'oiseau au vol élevé et fils d'Anou le dieu-ciel, naquit. Il naquit dans la force, la puissance et la violence. Puis Ea, le seigneur de l'Apsoû, persuada Ellil de laisser Anzoû le servir comme garde du corps personnel. Ainsi, Ellil confia à Anzoû la garde de l'entrée de sa demeure.
Souvent, Ellil se baignait dans une eau sacrée. Et Anzoû l'observait. Ses yeux contemplaient la Couronne Majestueuse, la Robe de Divinité et la Tablette des Destinées. Ses yeux contemplaient les attributs du pouvoir d'Ellil. Et Anzoû était envieux. Il contemplait le dieu de Douranki, le père des dieux. Et alors Anzoû élabora son plan funeste. Car il voulu usurper le pouvoir d'Ellil.
C'est ainsi qu'un jour, alors que Ellil se baignait une nouvelle fois dans l'eau sacrée, Anzoû s'empara de la Tablette des Destinées, où est décrété le sort des hommes et des dieux, et prit la fuite afin de se cacher avec les insignes divins. Apprenant le méfait, Anou ordonna l'assassinat du traître. Il demanda d'abord à son fils, Adad, de frapper Anzoû avec son arme, l'éclair, et lui promit la suprématie dans l'assemblée des dieux s'il réussissait. Mais Adad refusa. Car Anzoû détenait maintenant la Tablette des Destinées, le pouvoir d'Ellil, et aucun dieu ne pouvait plus le vaincre. Les dieux se tournèrent alors vers Gerra et lui ordonnèrent de brûler Anzoû avec le feu, son arme. Mais Gerra refusa également. Puis ce fut au tour de Shara, fils d'Ishtar, de recevoir l'ordre de frapper Anzoû avec son arme. Mais Shara refusa tout autant que ses prédécesseurs. Alors les dieux restèrent silencieux et se désespérèrent.
Ea, le seigneur d'intelligence, mûrit alors une idée. Il ordonna à Belet-ili, la grande déesse mère, de créer Ninourta à la large poitrine, son splendide bien-aimé. Alors Belet-ili s'exécuta. Elle fit Ninourta et l'inspira d'un vibrant appel pour l'envoyer affronter Anzoû. C'est ainsi que Ninourta rassembla les sept vents mauvais qui dansent dans la poussière et réunit un attirail de bataille terrifiant.
Ce fut sur le flanc de la montagne que se rencontrèrent Anzoû et Ninourta. Anzoû le regarda et frémit de rage. Il montra les dents comme un démon. Son manteau de lumière couvrit la montagne. Alors, Anzoû rugit comme un lion et l'affrontement débuta. La bataille fut furieuse. Des nuages de mort s'abattirent en pluie et les éclairs déchiraient le ciel. Puis Ninourta décocha une flèche. Mais Anzoû parvint à la dévier aisément avec la Tablette des Destinées. Alors Ninourta envoya un messager demander conseil à Ea. Et Ea répondit au messager de ne jamais faiblir et de ne laisser aucun répit à Anzoû. Alors le messager revint avec les précieuses paroles du seigneur d'intelligence, et Ninourta rassembla à nouveau les sept vents mauvais avant de reprendre la bataille.
La dévastation régnait. Une chaleur brûlante se répandit. Dans la confusion de la bataille, la flèche de Ninourta transperça le cœur et les poumons d'Anzoû. Et ainsi l'oiseau mauvais fut tué. Ninourta reprit la Tablette des Destinées et rapporta la bonne nouvelle aux dieux. C'est ainsi que Ninourta gagna la domination totale et, sans exception, tous les rites. Et c'est ainsi que les dieux lui accordèrent vingt noms glorieux.
(MM 112-117)
Le texte
Le texte de ce mythe est écrit sur environ 720 lignes réparties sur 3 tablettes, retrouvées principalement à Tarbisou et Soultantépé, mais aussi à Suse. Sa composition date probablement de la période paléo-babylonienne, de la période babylonienne classique, et du VIIe siècle avant J.C. Il existe une version sumérienne et le mythe était sans doute familier aux Hourrites (MM 30-31).
Comme dans l'Épopée de la Création, ce mythe évoque le thème d'un rebelle avide de s'emparer du pouvoir suprême, qui a recours à la ruse et trompe pour atteindre son but. Il faut alors trouver un sauveur pour vaincre l'usurpateur en un combat héroïque. Ici, le traître est Anzoû le mauvais, l'oiseau au vol élevé, fils d'Anou. Comme dans l'Épopée d'Erra, le mythe commence par la formule Je chante le... Dans la version en babylonien classique, le héros est Ninourta, dieu de la guerre. Dans la version paléo-babylonienne, le héros est Ningirsou, dieu protecteur de la cité de Girsou, dans la Mésopotamie centrale, et le texte est rédigé sous une forme abrégée, dont nous ne possédons qu'une petite partie (MM 112).
L'histoire débute par un prologue présentant Ninourta et ses hauts faits. Puis les dieux relatent à Ellil la naissance d'Anzoû. Sa description complète est très fragmentaire mais suggère néanmoins la force, la puissance et la violence (MM 112). Le texte indique que l'arme d'Adad est l'éclair, tandis que l'arme de Gerra est le feu. Cependant, nous ne savons pas quelle est l'arme de Shara car le texte est cassé à cet endroit (MM 113-114). La tablette II se termine lorsque Ninourta, après avoir reçu les conseils de Ea, retourne dans la bataille. Le début de la tablette III est très fragmentaire mais il semble que la dévastation règne. La fin de l'épopée est traditionnelle et Ninourta reçoit vingt noms glorieux, comme pour Mardouk à la fin de l'Epopée de la Création (MM 116).
Sources de l'article
MM : Henrietta McCall. Sylvie Carteron (trad.). Mythes de la Mésopotamie. Collection Points Sagesses. Editions du Seuil, édition traduite 1994, édition originale 1990, réimpression 2023.